abraham-isaac-sacrifice-mormonL’importance emblématique de l’Akedah, la ligature d’Isaac, pour les saints des derniers jours est affirmée dans les paroles suivantes de Jacob :

Jacob 4: 5  … nous gardons la loi de Moïse, celle-ci tournant notre âme vers lui; et à cause de cela, elle est sanctifiée pour nous à justice, tout comme il fut compté comme justice à Abraham dans le désert d’avoir été obéissant aux commandements de Dieu en offrant son fils Isaac, ce qui est une similitude de Dieu et de son Fils unique.

Mais que devrions-nous apprendre de cette “similitude” entre l’Akedah et le sacrifice du Christ qui est en quelque sorte la base de notre rédemption? Leon Kass, qui n’est pas chrétien, mais un grand savant à la fois du judaïsme et de la philosophie politique grecque, tire cette conclusion de la ligature d’Isaac :

En définitive, Dieu ne requiert  pas des hommes qu’ils choisissent entre l’amour de soi-même et la piété. Même s’il a fallu un événement horrible pour démontrer ce fait ; l’harmonisation est possible entre le respect envers Dieu (qui aime la justice) et l’amour de sa famille ou de sa nation, lorsque qu’ils sont bien compris. Dieu, la puissance extraordinaire et transcendante, ne veut pas la transcendance de la vie mais plutôt sa sanctification – dans toutes les activités banales et les relations que l’on a dans notre vie de tous les jours. Ainsi, Dieu se fait connaitre Lui-même comme étant exactement le genre de dieu que l’on peut non seulement craindre et révérer, mais qu’on peut même arriver à aimer – “de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta force.
(The beginning of Wisdom, article en anglais)

Cela semble vouloir dire que les bénédictions qu’Abraham a reçues après la mise à l’épreuve de sa volonté de tout sacrifier étaient exactement les bénédictions auxquelles il était prêt à renoncer – ici je ne dirais pas qu’il a été “sanctifié”, mais plutôt “racheté” par le sacrifice. Je pense que c’est ce qui est montré de façon négative dans le grand film français (basé sur un roman de Marcel Pagnol), la tragédie “Manon des Sources”. Je ne vais pas tenter de résumer ce film, ici, mais pour ceux d’entre vous qui ne le connaissent pas ou qui souhaiteraient le voir (commencez par voir sa première partie : “Jean de Florette”). Tel est le lien que je vois ici avec l’enseignement central du christianisme au sujet du sacrifice et de la rédemption : Papet avait ses rêves les plus chers, de famille et de postérité, à portée de main; le plus grand lui étant donné, sous ses yeux, mais il n’avait pas la foi de sacrifier sa cupidité et de les accueillir en ouvrant son cœur aux autres – il a insisté en saisissant ses rêves par la tromperie d’un cœur dur, et a fini par les détruire.

La tragédie réside ici dans le fait que Papet dans le film de Pagnol désire les bénédictions d’une famille éternelle, mais il a suivi la philosophie de Korihor qui rend tout un chacun radicalement seul (comme le projet de Machiavel de gagner ce monde en laissant de côté les restrictions sacrées en ce qui concerne l’acquisition humaine).

Qu’est-ce que cela signifie de se sentir seul? Quand est-ce qu’on se sent le plus seul? Lorsqu’on croit que le monde est tel que Korihor l’a décrit, lorsqu’ il a renié l’Expiation :

Alma 30 :

 16 Vous regardez vers l’avenir et dites que vous voyez une rémission de vos péchés. Mais voici, c’est l’effet d’un esprit en délire, et ce dérangement de votre esprit vient des traditions de vos pères, qui vous entraînent à croire des choses qui ne sont pas.

 

17 Et il leur dit beaucoup d’autres choses de ce genre, leur disant qu’il ne pouvait être fait d’expiation pour les péchés des hommes, mais que ce qu’il advenait de tout homme dans cette vie dépendait de la façon dont il se gouvernait; c’est pourquoi, tout homme prospérait selon son génie, et tout homme conquérait selon sa force, et tout ce qu’un homme faisait n’était pas un crime.

 

18 Et c’est ainsi qu’il leur prêchait, égarant le cœur de beaucoup, leur faisant redresser la tête dans leur méchanceté, oui, entraînant beaucoup de femmes, et aussi d’hommes, à commettre la fornication — leur disant que lorsqu’un homme était mort, c’en était fini.

Ce ne serait pas vraiment exagéré de dire que, malgré le bien évident qu’il y a dans beaucoup de ce qui est «moderne», l’idée fondamentale du monde moderne, les «plaques tectoniques» sur lesquelles nous dérivons, se basent sur cette philosophie de Korihor/Machiavel : le choix nous est donné à nous seuls d’utiliser notre propre pouvoir et tromperie, parce que l’univers ne donne pas de soutien à l’amour et à la responsabilité envers les uns et les autres. La connaissance est le pouvoir, qu’il soit déployé pour l’individu ou pour le compte de certaines collectivités, ou pour une «humanité» sans soutien et sans la retenue émanant d’une source de sens ou d’ordre sur les êtres humains. De ce fait, l’important n’est pas de comprendre le monde, mais de le changer. (Et dans quel but? Voilà la question qui est toujours remise à plus tard. Appelez ça le «progrès».)

Mais revenons-en à la bonne nouvelle : La raison même de l’Expiation est de réfuter cela, ou peut-être en effet de confirmer la nature même de la réalité, fondée non pas sur la solitude du pouvoir, mais sur l’amour sacrificiel.

L’une des réflexions les plus audacieuses et les plus poussées sur l’Expiation que je connaisse a été faite par Jeffrey R. Holland : “Nul n’était avec lui” (Le Liahona, mai 2009). Je cite :

Jeffrey R. Holland

Jeffrey R. Holland

Ainsi, selon le plan de Dieu, le groupe des amis de Jésus se rétrécit progressivement, donnant toute son importance aux paroles de Matthieu: « Alors tous les disciples l’abandonnèrent, et prirent la fuite . » Pierre est resté suffisamment près pour être reconnu et accusé. Jean se tenait près de la croix avec la mère de Jésus. Les femmes chères au Sauveur durant sa vie, sont restées à ses côtés autant qu’elles ont pu. Mais c’est essentiellement seul qu’il a parcouru le chemin le ramenant à son Père, sans réconfort ni compagnie.

Je vais maintenant parler avec prudence, avec respect même, de ce qui a probablement été le moment le plus éprouvant de ce chemin solitaire vers l’Expiation. Je parle de ces derniers moments pour lesquels Jésus a dû être préparé d’un point de vue intellectuel et physique mais probablement pas complètement d’un point de vue émotionnel et spirituel, c’est- à-dire la souffrance finale d’un sentiment de désespoir extrême quand il a senti que Dieu se retirait de lui, et qu’il a crié dans le pire moment de sa solitude : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

 

Il s’attendait à perdre le soutien des hommes mais il n’avait apparemment pas compris que Dieu se retirerait de lui. N’avait-il pas dit à ses disciples : « Voici l’heure…est déjà venue, où vous serez dispersés chacun de son côté et où vous me laisserez seul : mais je ne suis pas seul, car le Père est avec moi » et « Le Père ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui est agréable ».

 

Avec toute la conviction de mon âme, je témoigne qu’il a fait ce qui était agréable à son Père à la perfection et que le Père parfait n’a pas abandonné son Fils à ce moment-là. Je crois en effet que pendant tout le ministère mortel du Christ, le Père n’a jamais été aussi proche de son Fils que dans ces derniers instants de souffrance et d’agonie. Néanmoins, pour que le sacrifice suprême de son Fils soit aussi complet qu’il a été solitaire et volontaire, il était nécessaire que le Père retire à Jésus le réconfort de son Esprit et le soutien de sa présence pendant un court instant. Il fallait, et c’était en effet essentiel pour le sens de l’Expiation, que ce Fils parfait qui n’avait jamais rien dit de mal, ni rien fait de mal, ni touché à une chose impure, sache ce que les êtres humains, c’est-à-dire chacun d’entre nous, ressentiraient quand ils commettraient de tels péchés. Pour que son Expiation soit infinie et éternelle, il devait ressentir la mort non seulement physique mais aussi spirituelle, sentir l’Esprit de Dieu se retirer, et se sentir totalement, misérablement et désespérément seul.

 

Mais Jésus a tenu bon. Il a persévéré. Sa bonté a permis à la foi de triompher même d’un état d’angoisse complète. La foi avec laquelle il menait sa vie lui disait qu’en dépit de ce qu’il éprouvait, la compassion divine n’est jamais absente, que Dieu est toujours fidèle, qu’il ne fuit jamais et que nous pouvons toujours compter sur lui. Ce n’est que lorsque le dernier quadrant a été payé, que le Christ a pleinement démontré sa détermination inébranlable de rester fidèle, que finalement, et par bonheur, la mission a été « accomplie  ». Contre toute attente et sans personne pour l’aider ou le soutenir, Jésus de Nazareth, le Fils vivant du Dieu vivant, a rétabli la vie physique là où régnait la mort, et a fait émerger des ténèbres et du désespoir de l’enfer, une rédemption joyeuse et spirituelle. Ayant foi en ce Dieu qu’il savait à ses côtés, il a pu dire triomphalement : « Père, je remets mon esprit entre tes mains. »

 

Mes frères et sœurs, l’une des grandes consolations de cette période de Pâques est que, parce que Jésus a parcouru complètement seul un chemin si long, nous n’avons pas à le faire. Le chemin qu’il a parcouru seul nous permet de bénéficier d’une grande compagnie pour notre petite version de ce chemin : la miséricorde de notre Père céleste, la compagnie indéfectible de son Fils bien-aimé, le don sublime du Saint-Esprit, les anges célestes, les membres de notre famille des deux côtés du voile, les prophètes et les apôtres, les instructeurs, les dirigeants et les amis. Eux tous et bien d’autres nous ont été donnés pour être les compagnons de notre condition mortelle, grâce à l’expiation du Christ et au rétablissement de son Évangile. Nous connaissons cette vérité, proclamée du sommet de la colline du Calvaire : nous ne serons jamais seuls ni sans personne pour nous aider, même si parfois nous pensons le contraire. Notre Rédempteur a réellement dit : « Je ne vous laisserai pas orphelins. [Mon Père et] moi viendrons à vous [et nous ferons notre demeure chez vous].

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Le Christ a vaincu la mort et le péché. Au moment même où il était le plus seul, il a prouvé que nous ne sommes jamais seuls – qu’il y a plus dans la vie pour chaque homme que de vaincre selon ses propres forces.

Le sacrifice rédempteur du Christ nous montre que nous ne sommes jamais seuls, que son amour ne fera jamais défaut et que notre amour humain – notre amour pour ceux qui nous sont chers et proches – peut devenir un amour qui, grâce au Christ, déborde pour embrasser tous les enfants de Dieu.

Tel est l’amour qui sanctifie “toutes les activités banales et les relations que l’on a dans notre vie de tous les jours.”

Maintenant, la politique au sens propre – la responsabilité humaine envers l’ordre dans la vie de la ville et de l’âme – semblerait faire partie de ces “relations et activités banales”, si non elle devrait d’une certaine manière en faire partie de façon primordiale. Alors qu’est-ce que cela signifie d’exercer cette responsabilité (en tant que citoyen ou, si c’est le cas, en tant qu’homme d’Etat), c’est … eh bien, une très bonne question – peut-être même la question qui repose à l’intersection de la charité et de la sagesse.

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